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La Bhagavad-Gîtâ est avant tout la Réponse donnée à Celui qui demande à être éclairé. Et cette Réponse prend la forme d’un Chant divin, d’un Dialogue — celui de Krishna et d’Arjuna — d’où son nom : " le Chant du Bienheureux ". Car la Bhagavad-Gîtâ est à la fois le Chant du Bienheureux Seigneur, et le Chant du Bienheureux qui L’entend.
Dans la Bhagavan-Gîtâ, le Seigneur apparaît comme le Bienheureux — non comme un personnage, mais comme une Présence qui s’éprouve en soi. Il ne s’agit donc pas d’une figure historique, mais du Seigneur universel, qui Se révèle — chaque fois — par ces mots : " Le Bienheureux Seigneur dit… ". Le nom " Krishna " n’appartient pas à l’histoire : il est le Nom donné à cet universel, le Nom révélé du Sans-Nom. Car c’est en partant de l’Être impersonnel que l’on peut reconnaître la Personnalité suprême.
" Krishna " signifie avant tout " le Noir " (dict.). Et, dans la Nuit spirituelle qui recouvre tout de sa seule présence, où il n’y a plus rien à voir, il fait " Noir ". Peu importe qu’on le reconnaisse ou non, qu’on l’appelle " Seigneur ", " lumière ", ou qu’on ne l’appelle pas du tout : Il est là — Dieu est là.
La Bhagavad-Gîtâ s’ouvre donc avec Celui qui est dans " le Noir ", avec Celui qui est aveugle, avec Celui qui demeure dans le Seigneur.
Dieu demeure dans le Seigneur. C’est une vérité essentielle : le Sans-nom habite le Nom, l’Impersonnel Se donne dans la Personne. Le Seigneur n’est pas un simple médiateur : Il est l’espace même où Dieu Se révèle, la forme que prend l’Être pour Se dire à l’homme.
Et Dhritarâshtra — avec lequel la Bhagavad-Gîtâ s’ouvre — n’est-il pas justement ce Nom (Hachem) ? Le Nom primordial, le Nom qui vient en premier, le Nom précieux ? Le Sans-Nom habite le Nom. Dieu Se révèle dans le Nom. Et S’attacher au Nom, ce n’est donc pas s’arrêter à une forme, mais s’efforcer de reconnaître ce qu’il représente : une conscience qui, se sachant dans le Noir, ne demande qu'à être éclairée, ne demande qu'à voir.
" Le Noir " est ce que l’on perçoit dans la Nuit — et c’est dans la Nuit que la Révélation commence.
La Bible aussi s’ouvre dans l a Nuit. Elle est, elle aussi, Révélation de la Nuit. Car c’est dans la Nuit que " la lumière fut ", que " la lumière" apparut, aussi bien dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau Testament.
Le paradoxe est là : le Noir devient la lumière de la Nuit, lorsque l’on perçoit sa valeur inestimable. Une lumière que l’on ne voit pas — à moins d’être dans la Nuit, mais qui éclaire tout de l’intérieur.
Et alors, une question surgit, presque silencieusement : la couleur de la Nuit… ne serait-elle pas Bleue ? Le Bleu profond, infini, royal — le Bleu du Seigneur.
" Krishna " signifie avant tout " le Noir " — mais cela ne Lui interdit pas d’être " Bleu ", d’avoir la couleur qui, traditionnellement et royalement, a été attribuée à " Dieu " ; d’être dans le chariot d’Arjuna ; d’être dans sa vie comme le sang qui coule dans ses veines, ou encore comme la couleur du ciel qui se reflète dans ses yeux. C’est là, donc, la Connaissance de Dieu qu’Elle révèle — cette connaissance de l’Unité, si simple et si cachée, qui illumine toute chose de l’intérieur.
Car ceux qui ont reconnu cette valeur inestimable, ceux qui ont vu, savent que " Krishna " apparaît bleu. Non parce qu’on L’a représenté ainsi — mais parce que ce Bleu-là n’est pas une couleur extérieure, mais une Révélation intérieure. Une profondeur. Une Présence. L’éclat de silence d’une Majesté qui ne s’impose pas. Une douceur infinie. Une Présence royale, et pourtant cachée.
Le dictionnaire précise que la Bhagavad-Gîtâ a été rédigée — ou du moins couchée par écrit dans sa forme actuelle — entre le 3ᵉ siècle avant Jésus-Christ et le 3ᵉ siècle après Jésus-Christ. Au cœur de la Bhagavad-Gîtâ, au cœur de la Nuit, est la Lumière de cet Un qui est Dieu, de cet Un qui Se fait entendre.
La tradition hindoue soutient que les événements qu’Elle rapporte — ce Dialogue entre Krishna et Arjuna — ont eu lieu bien plus tôt : il y a environ 5 000 ans, au seuil du Kali Yuga, une période de Nuit, une ère sombre en comparaison des Yugas précédents.
5000 — le chiffre 5, cœur de la suite naturelle (1 2 3 4 5 6 7 8 9) — indique déjà un point d’équilibre. Ce moment cosmique, marqué par le départ de Krishna, est daté, selon la tradition, de 3102 avant notre ère (N). Or ce nombre — qui prend toute sa valeur dans notre calendrier — est bien plus qu’un repère historique : c’est une révélation spirituelle. Car 31 est la valeur centrale du nom Dieu (= 39 / 31 / 70), du latin Deus, Deux !
31 — trois un — ou Trinité : la Révélation de cet Un qui est D.ieu.
Ainsi, 3102 n’est pas une simple date : c’est un point de départ où la Lumière de l’Unité se révèle dans la Nuit du Kali Yuga.
" Le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière,
et pour ceux qui étaient assis dans le sombre pays de la mort, une lumière s’est levée. " (Matthieu 4,16)
Bienheureux donc ceux qui demeurent dans la Nuit, Bienheureux ceux qui apprécieront ce langage poétique qui surpasse toute intelligence, car en ne voyant plus les choses comme le monde, ils verront l’Unité de Dieu — l’Unité qui est au centre de toute la Création — et ils en auront la Connaissance.
Car ce qui est dit ici ne vaut pas seulement pour une tradition particulière, mais pour toutes celles qui ont su reconnaître, sous des formes diverses, la Nuit comme expérience intérieure, et la lumière comme Réponse.
Le " départ " de Krishna, selon la tradition, marque extérieurement la fin de son séjour terrestre et l’ouverture du Kali Yuga. Mais ce départ est en réalité le moment où Il entre dans son règne, car le Kali Yuga est un temps qui revient perpétuellement, celui où sa forme extérieure s’efface dans " le sombre pays de la mort ", pour laisser paraître sa forme universelle et illimitée.
De même, faire du récit de la mort de Jésus un simple événement historique, c’est passer à côté de sa véritable portée. Car la Vie dont il témoigne n’est pas enfermée dans un passé révolu : elle est éternelle, toujours présente, toujours en train de se renouveler.
Dans l’Inde, on distingue quatre Yugas, quatre grands temps. Or, le traducteur de la Bible a su, lui aussi, discerner quatre temps dans l’Évangile selon saint Jean, en donnant aux différents passages ces titres :
» 1. La gloire de Jésus manifestée au monde
» 2. La gloire de Jésus manifestée à ses disciples dans l’intimité de la dernière Cène
» 3. La gloire de Jésus manifestée dans sa Passion
» 4. La gloire de Jésus manifestée aux disciples après la Résurrection
Dès à présent, on peut rapprocher les mots Yuga et Yoga, car le Kali Yuga n’est pas un âge révolu, mais un état de conscience — une nuit intérieure qui s’éprouve. Et le Yoga, dans sa plus haute vérité, est l’orientation qui en émane.
Voici un exemple où le Kali Yuga est mis en avant :
" 16 le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière,
et pour ceux qui étaient assis dans le sombre pays de la mort une lumière s'est levée.
17 Dès lors, Jésus se mit à proclamer et à dire : « Repentez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » "
Ces expressions décrivent précisément l’état de conscience du Kali Yuga — non pas comme une période historique, mais comme une condition intérieure : ignorance, désespoir, déconnexion de la lumière. C’est l’expérience de la souffrance et de l’insatisfaction.
La " grande lumière " qui se lève est la réponse à cette obscurité. Elle représente l’éveil de la conscience, la connaissance qui dissipe l’ignorance. Celui qui proclame " Repentez-vous " en est l’incarnation. Il n’est pas un personnage du passé, mais le principe actif qui nous arrache à notre inconscience.
Le mot grec traduit ici par " repentez-vous " est μετανοεῖτε (metanoeîte), forme impérative du verbe μετανοέω (metanoéô), qui signifie littéralement " changer de pensée " ou " aller au-delà de l’esprit habituel ". Le préfixe meta- (" au-delà ", " après ") et la racine noéô (" percevoir ", " comprendre ", " penser ") désignent une transformation intérieure du regard, une conversion de la conscience. Ce terme n’évoque donc pas un simple regret moral, mais un retournement radical — une métanoïa. Il s’agit d’une bascule du mental vers la vision, d’un passage de l’ignorance à la Connaissance.
Cette orientation rejoint profondément la pratique du Yoga, comprise dans son sens spirituel : non comme gymnastique, mais comme discipline de l’union — retournement vers l’Un. Ce repentir intérieur, cette métanoïa, est ainsi l’équivalent du Yoga : une réponse vivante à la Nuit intérieure du Kali Yuga, une pratique par laquelle notre état de conscience peut être transformé.
" Le Royaume des Cieux est tout proche " vient alors sceller cette intuition : la lumière, la libération, l’harmonie — le Satya Yuga intérieur — ne sont pas des événements futurs ni des lieux lointains, mais des réalités accessibles ici et maintenant, en soi, par ce retournement du cœur et de la conscience.
Un exemple analogue de ce " Yuga intérieur " se retrouve dans les paroles de Swâmi Râmdâs, lorsqu’il évoque les conditions spirituelles de l’Arabie préislamique :
Ce passage ne décrit pas simplement une situation historique : il exprime un état de conscience. Les " guerres intestines ", la " superstition ", les " lamentations " — tout cela renvoie à une obscurité spirituelle profonde, à un effondrement intérieur de la vision, à une perte de la lumière. Il s’agit là, très clairement, d’un Kali Yuga vécu en l’homme, dans son humanité — un âge sombre non pas daté, mais éprouvé, au plus intime.
Face à cette nuit, le Prophète apparaît comme une lumière vivante, " la lumière même de Dieu ". Il n’est pas seulement un homme du passé, mais une manifestation du Principe qui répond à la chute intérieure, un porteur de retournement. Son message, fondé sur la paix, l’unité et la fraternité, porte les signes d’un Satya Yuga — non à venir, mais à renaître ici-même, en soi.
Le Kali Yuga a deux visages. Il est d’abord ce fond obscur, ce tumulte intérieur — un champ de bataille où règnent le doute, la dispersion et l’oubli de Dieu. Mais c’est précisément parce qu’il est cette obscurité que la lumière peut s’y lever. Encore faut-il en prendre conscience : car tant que l’on croit être dans la lumière, on reste plongé dans l’ignorance. Reconnaître que l’on n’y est pas, c’est déjà se tourner vers Elle. Alors le Kali Yuga devient ce qu’il est en vérité : la base même de la Révélation. Et c’est sur ce champ de lutte intérieure, en proie aux guerres intestines, que le Yoga du Seigneur se révèle — comme on le verra clairement dans la Bhagavad-Gîtâ
C’est sur cette même base que Mahomet se révèle — non comme un simple homme du passé, mais comme la lumière même de Dieu surgissant dans la Nuit. Car le flambeau qu’il porte éclaire un âge nouveau : le Satya Yuga, le retour de la Vérité — où l’humanité, enfantée dans la Nuit, reconnaît la Présence vivante de Dieu au cœur d’elle-même.
Et Bouddha aussi, venu au cœur de la souffrance, l’a reconnu :
Par cette parole, il atteste d’un retournement : là où était la souffrance, surgit la paix ; là où était la détresse, se révèle la Vérité. Ce n’est pas ailleurs — c’est ici, dans l’homme éveillé, que la lumière se lève.
Un autre exemple — tout à fait contemporain — témoigne de cette même traversée de la Nuit : celui du scientifique japonais, dont la détresse intérieure le mena au bord du désespoir. Rien, dans son parcours, ne laissait présager l’expérience fulgurante qu’il allait vivre. Et pourtant, c’est bien dans le cœur de la Nuit, sur une colline solitaire surplombant le port, qu’un renversement eut lieu.
" Je fus finalement relâché de l'hôpital mais je ne pouvais pas me sortir de ma dépression. En quoi avais-je mis ma confiance jusqu'alors ? J'avais été insouciant et content, mais quelle était l'essence de cette satisfaction ? Un doute sur la nature de la vie et de la mort me mettait à l'agonie. Je ne pouvais plus dormir ni m'appliquer à mon travail. Dans des promenades nocturnes au hasard sur la falaise et près du port je ne trouvais pas de soulagement.
Une nuit, comme j'errais, je m'effondrai à bout de forces sur une colline surplombant le port, m'assoupissant finalement contre le tronc d'un grand arbre. Je gis là, ni endormi ni éveillé, jusqu'à l'aube. Je peux encore me rappeler que c'était le matin du 15 mai. Dans un ahurissement, je regardais la lumière grandir sur le port, voyant le lever du soleil et en même temps en quelque sorte, ne le voyant pas. Comme la brise soufflait du bas de la falaise, le brouillard matinal disparut soudain. Juste à ce moment un héron nocturne apparut, lança un cri aigu et s'envola au loin. Je pus entendre le battement de ses ailes. En un instant tous mes doutes et le brouillard lugubre de mon désordre s'évanouirent. Tout ce que j'avais tenu pour ferme conviction, tout ce qui avait l'habitude de me tranquilliser, était balayé par le vent. Je sentis que je comprenais juste une chose. Sans réfléchir aux mots, ils sortirent de ma bouche : " Dans ce monde il n'y a rien du tout ... " (N) Je sentis que je ne comprenais rien. (N)
Je pouvais voir que tous les concepts auxquels j'avais été attaché, l'idée de la vie elle-même, étaient des constructions vides. Mon esprit devint léger et clair. Je dansais, fou de joie. J'entendais les petits oiseaux gazouiller dans les arbres et je voyais les vagues étinceler au loin dans le soleil levant. Les feuilles dansaient, vertes et miroitantes. Je sentais que c'était vraiment le ciel sur la terre. Tout ce qui m'avait possédé, toutes les angoisses disparurent comme des rêves, des illusions, et quelque chose qu'on pourrait appeler la " vraie nature " se révéla.
Je pense pouvoir dire à coup sûr, qu'à partir de l'expérience de ce matin-là ma vie a complètement changé.
Malgré le changement, je restais au fond un homme moyen et étourdi, et jusqu'à présent je n'ai pas changé. Vu de l'extérieur il n'y a pas homme plus banal que moi et il n'y a rien eu d'extraordinaire dans ma vie quotidienne. Mais la certitude que je sais du moins cette chose-là n'a pas changé depuis cette époque. J'ai passé trente ans, quarante ans, à vérifier si oui ou non je m'étais trompé, méditant tout au long, mais pas une fois je n'ai trouvé de preuve contraire à ma conviction.
Que cette conception en elle-même ait une grande valeur ne signifie pas qu'une valeur particulière soit attachée à ma personne. Je reste simplement un homme, juste un vieux corbeau pour ainsi dire. À l'observateur intermittent je peux paraître humble ou arrogant. Je dis toujours aux jeunes gens qui montent à mon verger de ne pas essayer de m'imiter et cela me met vraiment en colère que quelqu'un ne prenne pas à cœur ce conseil. Je demande plutôt qu'ils vivent simplement dans la nature et s'appliquent à leur travail quotidien. Non, je n'ai rien d'extraordinaire, mais ce que j'ai entrevu est immensément important. " (Masanobu Fukuoka - La révolution d'un seul brin de paille, p37-39)
" Le jour suivant cette expérience, le 16 mai, je me présentai à mon travail et donnai ma démission. Mes supérieurs et mes amis furent stupéfaits. Ils ne savaient pas quoi en penser. Ils donnèrent pour moi une soirée d’adieu dans un restaurant au-dessus de l’embarcadère, mais l’atmosphère était un peu bizarre. Ce jeune homme qui s’était bien entendu avec tout le monde jusqu'au jour précédent, qui ne semblait pas particulièrement insatisfait dans son travail, qui au contraire s’était consacré sincèrement à sa recherche, avait brutalement annoncé qu’il démissionnait. Et j’étais là, riant joyeusement.
Alors je m’adressai à chacun en ces termes : « De ce côté est l’embarcadère. De l’autre le Môle. Si vous pensez que la vie est de ce côté, la mort est de l’autre. Si vous voulez vous débarrasser de l’idée de mort, vous devez aussi vous débarrasser de l’idée que la vie est de ce côté. Vie et mort ne font qu’un. »
Quand je dis cela, chacun s'inquiéta encore plus pour moi. « Que dit-il ? » Il ne doit plus avoir toute sa tête, ont-ils dû penser. J’étais le seul à marcher avec entrain dans une gaieté folle.
À cette époque mon compagnon d’appartement s’inquiétait beaucoup à mon sujet et me suggéra de faire une pause au calme, d’aller peut-être dans la péninsule de Boso. Ainsi je partis. Je serais parti absolument n’importe où si on me l’avait demandé… " (La révolution d'un seul brin de paille, p40)
Chaque expérience est unique car Dieu est unique. Mais une chose demeure certaine : une fois que l’on a " vu ", vraiment " vu ", il n’est plus possible de revenir en arrière. On ne retourne pas à l’erreur. L’illusion peut encore rôder, mais le cœur a été touché — et il ne peut plus faire semblant.
Il faut d’ailleurs souligner que le chemin de la Réalisation n’est pas réservé aux croyants, ni même aux hommes de foi au sens religieux. Ce que vivent les prophètes, les sages ou les éveillés peut aussi surgir dans l’âme d’un homme simple, d’un scientifique, d’un poète, d’un athée même — pour peu que la Nuit soit assez profonde, et que le cœur y consente. Car ce n’est pas l’adhésion à une doctrine qui ouvre la voie, mais l’abandon d’un savoir trop plein, d’un moi trop sûr de lui. -- En quoi avais-je mis ma confiance jusqu'alors ? -- Ce n’est pas l’appartenance à une tradition, mais la sincérité du cri intérieur, le dépouillement réel. La lumière peut se lever sur n’importe quelle colline, dans n’importe quelle chambre close. Ce qui importe, c’est le retournement du cœur — ce retournement que toutes les traditions ont appelé, à leur manière, " conversion ", " métanoïa ", " renoncement " ou" éveil ".
Avec les conseils de son ami qui l'encouragea à partir, il est difficile de ne pas évoquer le chemin de Shrî Aurobindo.
Lui non plus ne cherchait pas Dieu — du moins pas selon les chemins habituels. Il était un homme de lettres, un intellectuel occidental par sa formation, un révolutionnaire indien par son engagement. Mais c’est en prison, alors qu’il était seul, exposé à la menace de mort, séparé de tout, qu’un basculement s’est produit. Ce qu’il croyait être une défaite politique, une injustice humaine, devint le lieu d’une transfiguration. Et ce qu’il crut d’abord être une épreuve extérieure se révéla, en vérité, être l’appel intérieur du Seigneur. Dans cette cellule, il dit avoir vu Krishna. Non comme une idée, ni même comme une vision mentale, mais comme une Présence réelle, tangible, inaltérable — un " Être vivant " qui, selon ses mots, lui montra que rien dans l’univers n’était séparé de Lui. Il Le vit dans le geôlier, dans le juge, dans l’injustice même. Et c’est là, au cœur de ce qui aurait pu être un désespoir, que la lumière surgit. Une fois sorti de prison, il savait. Sa vie avait basculé. Et avec le soutien de Sister Nivedita, les conseils et l’aide de Motilal Roy, qui facilita sa fuite de Calcutta après sa libération, il partit pour Pondichéry — alors comptoir français. Là, retiré du tumulte du monde, il s’enfonça dans la profondeur de son Être. Ce que le Kali Yuga avait mis à nu — l’effondrement des certitudes, la solitude radicale, l’épreuve de la mort — devint le fond même d’une révélation.
Définition du dictionnaire
Avant d'aborder plus précisément le contenu de la Bhagavad-Gîtâ, quelques précisions s'imposent.
La Gîtâ signifie littéralement " le Chant ", et la Bhagavad-Gîtâ, " Le Chant du Bienheureux " (Bhagavan). Mais pour une partie du monde, elle n'est qu'un simple poème, une œuvre ornementale, voire un artefact culturel – et cette connaissance, au lieu de nous éclairer, peut nous enfermer dans l'idée qu'il s'agit d'un écrit mineur et sans grand intérêt. Prendre conscience de ce regard réducteur est essentiel si l’on veut entendre " le Chant " de ce Dialogue comme étant celui de son âme, celui de son cœur, celui de sa vie.
La Gîta est définie comme un " poème sanskrit ", et au sens premier " sanskrit " veut dire sans imperfection, sans impureté, sans insuffisance car le terme " sanskrit " (संस्कृत, saṃskṛta), de " Sam " (सम्) = " complètement ", " parfaitement " et " Kṛta " (कृत) = " fait ", " construit ", " orné " (de la racine verbale kṛ, " faire "), signifie " purifié ", " parfait ", " orné ", " cultivé " ou encore " élaboré avec soin " .
La Bhagavad-Gītā est ainsi une Œuvre élaborée avec soin, et qui n’est pas sans rappeler, dans son intensité spirituelle, celles de la Bible — comme l’Arche de l’Alliance, par exemple.
Le langage poétique, précisément parce qu’il est " élaboré avec soin ", est celui de la Connaissance de Soi. Il surpasse tous les autres langages : il n’est pas seulement fait pour être compris, mais pour être "entendu" — c’est-à-dire "étendu" à des horizons insoupçonnés. Un tel langage peut tout faire entendre, en réunissant ce qui semblait séparé, et même ce qui paraissait s’opposer.
Henri Meschonnic (W), théoricien du langage, essayiste a remarqué que
" A Kurukshétra ", " À l'école de la poésie, on n'apprend pas on se bat ! " (Préface - Léo Ferré)
" A Kurukshétra ", on " livre bataille " contre tout ce que l'on a considéré comme des valeurs établies, des valeurs auxquelles on n'ose plus toucher, des valeurs qui nous étaient familières, et même contre sa propre façon de voir les choses car c'est ainsi qu'on en est délivré. Les Écritures, lorsqu’elles sont entendues, nous offrent une Connaissance qui nous délivre de la vision d’un monde, d'un mental qui ne les entend pas.
La Bhagavad-Gītā s’ouvre ainsi — non seulement avec Celui qui est conscient d'être aveugle (Dhritarâshtra) et qui de fait s'interroge, mais aussi sur une confrontation radicale. Et si cette confrontation peut sembler violente ou négative, elle est en réalité le moteur essentiel de la prise de conscience. Elle nous arrache à notre zone de confort perceptuelle. Elle nous oblige à considérer d’autres réalités, à interroger nos propres fondations, et à rendre visible ce qui, jusque-là, demeurait invisible. C’est dans ce frottement des idées, des mondes et des perspectives qu’une lumière nouvelle peut jaillir — et qu’émergent des compréhensions jusqu’alors insoupçonnées.
La confrontation agit ici comme un révélateur : elle projette la lumière sur ce que nos perceptions ordinaires laissaient dans l’ombre.
Et il est important de toujours garder à l’esprit que la Bhagavad-Gîtâ est un Poème sanskrit, une Œuvre de l’Esprit — non un récit historique, même si elle fait date !
À ce sujet, Shrî Râmakrishna dit :
" Prononcez un certain nombre de fois, et rapidement, le mot « Gitâ-gi-tâ-gi-tâ ». C'est alors comme si vous prononciez « tâ-gi-tâ-gi-tâ-gi ». Or, tâgi désigne l'homme qui a renoncé au monde par amour de Dieu. Ainsi, en un seul mot, la Gîta nous enseigne : « Renoncez, ô vous qui êtes enchaînés par le monde ! Renoncez à tout, et fixez votre esprit sur le Seigneur. » " (234)
Et c’est sans aucun doute en renonçant à la vision du monde que la Bhagavad-Gītā — comme toutes les Écritures saintes — nous donne la Connaissance de Dieu. Sinon, on ne fait qu’accumuler un savoir — un savoir sans fruit, un savoir qui n’est d’aucun secours, d’aucune utilité véritable.
Nous avons entrevu précédemment la nécessité de demeurer dans la Nuit, loin, très loin, des connaissances qui — si éclatantes soient-elles — aveuglent incontestablement ceux qu’elles éclairent, ceux qui succombent à leur charme. (Voir à ce sujet cette vidéo : W)
Tout comme la Bible, et toutes les autres Écritures d'ailleurs, la Bhagavad-Gītā n’est pas limitée au livre qui porte ce nom. De fait, Elle — ou le Seigneur — peut fort bien nous donner la Connaissance au travers d’autres Livres, d’autres voix, d’autres formes. Ce qui ne manquera pas de se faire, car limiter la Bhagavad-Gītā au livre qui porte ce nom, c'est la réduire à bien peu de choses. Le Seigneur Dieu, le Seigneur à quatre bras — (souvenons-nous du Tétragramme) — Se révèle en tout et partout, Il ne s'enferme pas : car c’est le même Seigneur, le même Être, le même Fleuve de Vie (Apocalypse) qui se divise en quatre bras (Genèse), et fait entendre Son Chant partout.
Si le Seigneur est parfois représenté avec quatre bras (sous sa forme vishnouite), c’est pour nous dire — sans mots — qu’Il embrasse toutes les directions, qu’Il porte le monde en sa totalité. Quatre bras comme les quatre Vedas, quatre bras comme les quatre Évangiles, quatre bras comme les quatre fleuves qui jaillissent d’une même Source. Une unique Présence, qui Se donne sous quatre formes, comme pour ouvrir l’espace tout entier à Son Chant — jusqu’au cœur du silence.
Et cela ne peut véritablement " se voir " qu’à partir du moment où l’on ne voit plus les choses apparentes. Tant que l’on perçoit quatre bras physiques, cela n’apparaît pas. Mais dans la Nuit — où toute forme se dissout — on reconnaît, silencieusement, que ces quatre bras ne sont que les reflets d’un seul Être, d’un seul Fleuve qui se donne en toutes directions, en tous textes, en toutes langues… jusque dans le cœur où Il Se révèle comme le Seigneur Dieu.
Et peut-être est-ce cela aussi que disent, silencieusement, les deux images qui ornent la couverture et le dos de la Bhagavad-Gîtâ.
Sur la couverture, Il se révèle sous la forme de la syllabe sacrée AUM — souvent transcrite Om — symbole de Brahman, l’Être sans forme, l’Absolu impersonnel, la pure Réalité.
Sur le dos de couverture, Il se manifeste sous une forme personnelle, celle d’un Homme à quatre Bras.
Deux images. Deux visages du même Divin. L’un impersonnel, l’autre personnel. Un seul Être — à la fois au-delà de toute forme et pourtant incarné, pleinement présent.
Et n’est-ce pas ce que la langue elle-même laisse entendre ? Om, symbole du Brahman sans forme, résonne dans Homme, car en sanskrit man désigne à la fois l’homme et le mental (manu, manas). Ainsi, ce qui est au-delà de toute forme se reflète déjà dans l’Homme : l’Absolu se laisse pressentir au cœur même de notre être.
Dans le mot " Humain ", on peut même pressentir quelque chose de la syllabe sacrée AUM : Humain — um signifiant " un " en portugais, et ain évoquant ein, " un " en allemand… comme si chaque langue murmurait déjà que l’humain est, en essence, l’Un manifesté.
Mais il faut distinguer : le mental n’est pas le Mental, pas plus que l’homme extérieur n’est l’Homme intérieur. Et lorsque la langue dit " Homme ", elle laisse pressentir déjà un autre niveau, celui où l’Absolu se reflète en nous.
Et c’est précisément lorsque ces deux niveaux – l’extérieur et l’intérieur, le visible et l’invisible – se rejoignent qu’apparaît " le fils de l’Homme ". Jésus le dit dans l’Évangile de Thomas :
Le Roy-aum-e : le lieu où résonne AUM, le son primordial, symbole de l’Unité absolue. Car " le fils de l’Homme " n’est pas " un autre " : il est la Révélation vivante de cette unité retrouvée, là où ce qui est manifesté est à la fois " fils de l’Homme " et " fils de Dieu " – là où l’humain et le divin ne font qu’Un.
Mais tout cela n’est-il pas déjà en attente de se révéler dans le mot Humain ?
Le graphisme de la lettre H montre une partie inférieure et une partie supérieure, séparées… qu’il nous faut d’abord reconnaître comme telles pour que leur Unité puisse ensuite se manifester. Il est essentiel de bien les distinguer – comme Dieu, dans la Genèse, sépare les eaux d’en bas et les eaux d’en haut – car ce sont les deux aspects de la Prakriti, Sa propre Nature : l’inférieure et la supérieure, le bas et le haut, l’extérieur et l’intérieur.
Et ce n’est qu’après cette séparation que ces deux aspects pourront être réunis. Sinon, ce qui s’exprime par défaut à travers l’homme n’est que la prakriti inférieure, coupée du Divin. C’est ce que le Seigneur rappelle :
Ne perdons jamais de vue que les Écritures sont avant tout des Livres de Connaissance de Soi, et qu’elles mettent d’abord en lumière ce qu’il convient de reconnaître, si l’on désire jouir d’une toute autre vision des choses.
Car la Prakriti – la Nature, notre propre Nature – est elle-même double : inférieure et supérieure.
Ainsi, ce qui se révèle d’abord est cette nécessité : distinguer la Nature inférieure de la supérieure, comme dans la Genèse Dieu sépare les eaux d’en haut et les eaux d’en bas. Car sans cette reconnaissance, l’homme reste livré à la seule Prakriti inférieure, coupée de sa Source.
Et la croyance ou la non-croyance en Dieu n’y change rien. Car Dieu, lorsqu’Il s’éveille en l’homme, n’est pas inactif : Il Se révèle en séparant le haut du bas, la Connaissance de l’ignorance. C’est ce qu’illustre la Genèse :
Cette séparation n’est pas une division, mais une révélation : elle devient " ciel ", espace d’ouverture, lieu où le haut et le bas peuvent être reconnus dans leur juste place, avant de s’unir en conscience.
Elle n’est donc pas une division au sens ordinaire, mais une Di-Vision : une Vision de Dieu, une vision divine. Et n’est-ce pas déjà inscrit dans la langue elle-même ?
Dans le mot divin, tout peut s’entendre et se voir : di-V-in... avec, au centre, la vingt-deuxième lettre de notre alphabet, V, comme pour représenter les deux formes du Divin (di et un).
Ce qui paraît deux – ou multiple – est en réalité l’Un : le pluriel et le singulier, l’éclat et la source, les étoiles et le Ciel.
Comme on le voit dans ces deux traductions du premier verset de la Genèse – " le ciel et la terre " et " les cieux et la terre " – singulier et pluriel ne s’opposent pas : ils révèlent leur unité.
Il en va de même pour le féminin et le masculin, car c’est la Parole qui révèle le Verbe — comme Marie révèle Jésus.
" Au commencement était la Parole... et la parole était Dieu " (Jean 1:1 - traduction Louis Second)
" Au commencement était le Verbe... et le Verbe était Dieu " (Jean 1:1 - traduction Émile Osty)
La lettre V est aussi la première lettre d’un " Verbe " – pour ne pas dire d’un Être – qui Se révélera avec tous et au milieu de tous, comme un singulier pluriel.
Et c’est justement parce que ce " Verbe " primordial – et même fondamental – n’est pas déterminé, n’a aucune forme qui puisse Le limiter, qu’Il peut se révéler en toutes formes, sans jamais s’y enfermer.
Et cette Réalité sans forme, mais présente en toute forme, la Bhagavad-Gîtâ la nomme Brahman.
Dans la Bhagavad-Gîtâ,
" Le Bienheureux Seigneur dit :
13.— Je te déclarerai l’objet unique vers quoi l’esprit de connaissance doit se tourner, en quoi l’âme, ici voilée d’ombre, doit se fixer pour recouvrer sa nature et sa conscience originelle d’immortalité et en jouir : le Brahman éternel suprême qu’on n’appelle ni sat (existence) ni asat (non-existence).
14.— Ses mains et Ses pieds sont de toutes parts autour de nous, Ses têtes et Ses yeux et Ses visages innombrables apparaissent partout où se tourne notre regard. Son oreille est partout ; incommensurable, Il emplit et enveloppe ce monde entier. Il est l’Être universel et nous vivons dans Son embrassement.
15.— Ce qui est en nous est Lui, et tout ce dont nous avons l’expérience hors de nous est Lui. L’intérieur et l’extérieur, le lointain et le proche, le mobile et l’immobile, tout cela Il l’est ensemble. Il est la subtilité du subtil, au-delà de toute connaissance.
16.— Il est l’indivisible et Il est l’Un, mais semble se diviser en formes et en créatures, et apparaît comme chacune des existences distinctes. Toutes choses éternellement naissent de Lui, sont maintenues en Son éternité, éternellement reprises en Son unité.
17.— Il est la lumière de toutes les lumières, et lumineux par-delà les ténèbres profondes de notre ignorance. Il est la connaissance et l’objet de la connaissance. Il siège dans le cœur de tous. " (Chapitre 13)
" Fends..., soulève... "— car c'est ainsi que " l'Unité " (= 81) Se révélera au cœur de tout, avec tout ce qui s’est manifesté.
Suivant les éditions (N), ce logion 81 peut apparaître sous le numéro 77. Or le chiffre 77 est aussi la valeur numérique du mot du " Christ ", " l'Être universel " que — selon l’Évangile — " Jésus, appelé Christ " (Matthieu 1:16) est appelé à incarner et à représenter (N). " Jésus-Christ " n’est donc pas une simple identité, mais une désignation vivante : un appel à révéler ce qu’il signifie réellement — "l’Un", pleinement manifesté.
Fendre, c’est discerner. Mais le discernement vrai ne s’arrête pas à la séparation : il soulève, il élève Ce qui a été reconnu.
Fendre, c’est discerner. Soulever, c’est élever.
Quand on fend le bois, il se divise en deux — l’aubier s’écarte, léger, sans grande valeur. Mais ce qui demeure, ce qui résiste au centre, c’est le cœur — dur comme la pierre. Dans le cœur du vieux chêne, on ne peut même pas y enfoncer un clou. C’est lui qu’on découvre au centre (V). Et c’est lui seul qui a de la valeur — de la durabilité, lui qui donne sa valeur à toute la Création.
Cette pierre, que notre esprit se doit de soulever en lui reconnaissant toute sa valeur, est ce cristal précieux — transparent comme le Christ lui-même, qui révèle Sa Présence au centre de tout ce qui a été fendu, en disant : " Je suis là. "
Avec ce double geste — fendre… puis soulever… " tu m’y trouveras. "
Car c’est ainsi qu’Il nous montre que ce qui paraît multiple est en vérité l’Un : l’intérieur et l’extérieur, le proche et le lointain, le mobile et l’immobile — tout cela est Lui, indivisible, et pourtant manifesté sous d’innombrables formes.
Et après avoir révélé le Champ, la Connaissance et l’Objet de la Connaissance, le Seigneur ajoute simplement :
C’est-à-dire que cette conscience, — cette âme qui s’ouvre à cela et le laisse devenir vie en elle —, entre dans Mon Être même, dans Ma Nature divine, où elle retrouve sa propre nature, et sa conscience originelle d’immortalité — autrement dit : la Vie qui est la sienne, la Vie éternelle. Encore faut-il qu’elle " entre par moi " (Jean 10:9), comme il est précisé dans les Évangiles, afin qu’elle perde la vision superficielle de ce monde pour gagner celle du Royaume des Cieux — pour ne pas dire du monde des Dieux, le monde de l’Intelligence supérieure, où tout est rassemblé.
Dans le monde divin, tout y est pleinement car rien n’est séparé : le pluriel et le singulier, le contenant et le contenu — les Deux ne font qu’Un. Et c’est cette transparence réciproque qui révèle Sa Nature : une invitation à revenir au di-V-in — in, vers l’intérieur, vers l’origine, vers l’unité jamais quittée, seulement voilée à nos yeux.
Dans " Ma Nature divine ", les Dieux, les Deva, les multiples lumières, les êtres célestes, les corps glorieux, ne sont que des éclats d’un seul et même Ciel unique.
Car, à son origine, dieu (dyew) désigne le Ciel lumineux, ce Ciel chargé d’étoiles et de corps célestes — et non une entité lointaine, perdue on ne sait où dans l’univers.
De même que c’est le premier commandement qui donne tout son sens au second, c’est le ciel que nous percevons en nous-même — et nulle part ailleurs — qui donne toute sa profondeur et toute sa grandeur, " si vous le voulez ", à ce " second ciel "… mais qui, en vérité, est le seul véritable — celui de " Ma Nature divine ".
Mais, de même que la pollution lumineuse fait disparaître le ciel étoilé, les connaissances de ce monde — censées éclairer — voilent notre ciel.
Les âmes qui ne sont pas en état de grâce sont celles qui, éblouies par trop de savoirs, saturées d’informations, deviennent incapables de percevoir autre chose que les apparences, extérieures à elles-mêmes. En se laissant aveugler ainsi, elles deviennent incapables de recevoir la lumière du " Soleil de justice ", cette clarté intérieure qui pourtant demeure en elles.
Ce " Soleil ", qui éclaire ce qui est juste et vrai, qui illumine l’Être tout entier, est le plus souvent voilé par l’épaisse couche de nuages des productions mentales, auxquelles on accorde une importance injustifiée. Mais à la fin, comme on le verra dans la Bhagavad-Gītā — lorsque l’erreur de perception est reconnue et que la vérité se fait jour — ce même Soleil resplendit pleinement, dévoilant ce qu’il est depuis toujours : " l’immuable Loi de la justice ", la Lumière même du Soi, enfin reconnue.
C’est pourquoi il est dit à la toute fin de la Bhagavad-Gîtâ :
Cette même Loi — Loi de justice, de vérité, d’Unité — que la Torah (la Bible) met au premier plan, dans le seul but d’illuminer ce qui se trouve dans la nuit — car on n’éclaire que ce qui se tient dans la nuit. Aussi utiles qu’elles puissent être sur le chemin de l’éternelle Réalisation, les connaissances doivent savoir céder la place au commencement — là où l’on ne sait encore rien, ou si peu — car c’est toujours là que se lève le Soleil de la Connaissance véritable.
Revenons à la syllabe primordiale et sacrée. Celle que nous avons entrevue dès la page de couverture de la Bhagavad-Gîtâ — et qui résume, dans un seul son, tout l’Enseignement.
Le glossaire de l’Enseignement de Shrî Râmakrishna rappelle :
" AUM, la syllabe sacrée entre toutes, symbole de l’Absolu, de Brahman, et aussi de toutes les conceptions que l’homme peut se faire du Suprême, du Divin. Cette syllabe fait partie de presque tous les mantras. On l’écrit souvent Om. " (p540)
C’est en Le considérant que ce " Moi " suprême se révèle comme Origine et Plénitude, Être pur, Présence éternelle, et Venue toujours renouvelée — car à chacune de Ses venues, tout se dit à nouveau et tout s’éclaire autrement, à chaque instant.
Et cette continuité — Ses venues ininterrompues — se fait toujours dans le renouvellement : c’est la même Lumière, mais sans cesse neuve, sans cesse plus profonde. C’est là le rythme même de la Vie : elle Se perpétue en Se renouvelant à chaque instant, sans jamais se répéter — comme une parole vivante, toujours dite, toujours nouvelle.
C’est ce " Moi " qui doit Se révéler en finalité — et non des connaissances qui ne font que s’y rapporter, aussi utiles, nécessaires et inévitables soient-elles. Et,
Avant que la vision que nous avons du ciel et de la terre ne disparaisse — avant que l’Apocalypse ne révèle ce Moi — la Loi demeure incontournable : c’est "l’immuable Loi de la justice" elle-même.
Dans la conscience ordinaire, l’homme porte son attention sur son petit "moi". Ici, il s’agit de la tourner vers le Ciel, afin que le Moi suprême — celui que représente " le Seigneur Dieu " — puisse Se révéler. Alors, le " Soleil de justice " apparaîtra comme la lumière de ce Moi universel : lumière immuable, inaltérable, qui seule peut éclairer et orienter la vision au-delà de ce monde.
Dans la vision pure de l’Esprit, la vision du monde — c’est-à-dire la manière ordinaire de voir les choses — s’efface totalement. Elle n’est plus perçue.
Dans le glossaire de la Bhagavad-Gîtâ, Brahman est défini comme :
| le Seigneur Dieu | 154 | 130 | 284 |
| le Réel suprême | 154 | 130 | 284 |
| le Moi (suprême) | 054 | 030 | 084 |
Ces " armes " primordiales que " Je t’ai fait prendre ", et que l’on trouve sur " le champ de l’accomplissement du Dharma " (Bhagavad-Gîtâ 1:1), sont celles de la Connaissance de Soi : elles attestent que la vie elle-même est un appel au combat spirituel, une exigence de Vérité, dans l’unité de l’Être.
Dans le mot Brahman (ब्रह्मन्), la racine brah (बृह् bṛh) signifie : s’élargir, croître, augmenter, déployer, épanouir ; par extension : être grand, être plénitude, être réalité suprême. C’est une racine qui renvoie à l’expansion sans limite, à l’infini vivant. Elle est liée à la plénitude de l’Être. Accepter l’idée de Brahman, ce n’est pas prétendre Le connaître, mais accueillir en soi cette dynamique d’élargissement, d’infini vivant, de largesse — comme il est dit dans le Coran.
Il est une parole attribuée à Albert Einstein et en grande partie inspirée de sa pensée qui résume bien cet élargissement :
" Cette autre vie qui est de là-haut
Est bien la véritable.
Jusqu’à ce que cette vie d’en-bas meure,
Étant vivante, point on n’en jouit. " (Sainte Thérèse d’Avila - Le château intérieur p205)
Ce qu’Einstein appelle "être humain" ne peut se réduire à ce que le monde en voit : un être limité à son apparence extérieure. L’univers est indivisible, et l’être humain en est une expression inséparable ; en tant que partie de ce Tout, il ne peut en être détaché. Il est la part essentielle de l’Un qui est Tout — indivisible dans son essence, et pourtant manifestation unique de ce Tout.
L’être humain, en tant qu’individu — " Tout être organisé qui ne peut être divisé sans perdre ses caractères distinctifs, sans être détruit. Du latin individuum : corps indivisible, 1242 " (dictionnaire) — est ce corps indivisible apparaissant comme une forme distincte et unique, sans jamais cesser d’être le Tout.
1. A. L. M. Voici le livre sur lequel il n'y a point de doute ; c'est la direction de ceux qui craignent le Seigneur ;
2. De ceux qui croient aux choses cachées, qui observent exactement la prière et font des largesses des biens que nous leur dispensons ;
3. De ceux qui croient à la révélation qui a été donnée à toi et à ceux qui t'ont précédé ; de ceux qui croient avec certitude à la vie future.
4. Eux seuls seront conduits par le Seigneur, eux seuls seront bienheureux. (Coran 2:1)
" Ceux qui croient aux choses cachées " ne s’attachent pas outre mesure aux choses visibles et apparentes, comme c’est le cas habituellement, et " Ceux qui font largesse des biens que nous leur dispensons " les utilisent pour élargir la conscience qui est la leur, ce qui, d’une façon générale, n’est pas le cas — et il ne saurait en être autrement tant que l’on n’a d’yeux que pour les choses extérieures ?
La Prière est la " SOURATE PREMIÈRE ", et ceux qui " observent exactement la prière " observent la seule chose digne d’être observée et considérée en tout et partout : la Manifestation première (pr–em–ière). Ainsi, il n’est nullement nécessaire de prier au sens où le monde l’entend : il s’agit de voir et de reconnaître, à chaque instant, le Premier manifesté dans toute chose. Et bien sûr, " ceux qui craignent le Seigneur " ont pour Lui un minimum de considération. Ils placent Sa Parole au-dessus detoute autre.
Ainsi, ceux qui remplissent les conditions sine qua non ne peuvent demeurer dans l’ignorance de Celui qui, à travers toute la Création et toutes les Écritures, Se révèle en ultime finalité comme " Le Bienheureux Seigneur " (Bhagavad-Gîtâ) Lorsque ces conditions sont remplies, l’universel — le " Souverain de l’univers " (Coran 1:1) — Se révèle comme " le Bienheureux Seigneur " ; Il s’approche de nous, conduit par le mouvement naturel de "la Pensée" qui préside à la révélation des choses (cachées) — ce que les dits du Bouddha (Dhammapada) mettent en avant dès le commencement :
1. La pensée préside aux choses ; pour l’essentiel, elles sont pensée, faites de pensée.
Si l’on parle ou agit avec une pensée malveillante, la douleur suit l’agent telle la roue suit le pas des bœufs.
2. La pensée préside aux choses ; pour l’essentiel, elles sont pensée, faites de pensée.
Si l’on parle ou agit avec une pensée bienveillante, le plaisir suit l’agent comme l’ombre qui ne se dissipe pas.
" La pensée préside " à la révélation des " choses cachées " dès lors que l’on accepte de voir ce que ces deux Stances mettent en avant : ce qui est à la fois semblable et inversé — ou contraire —, à l’image du graphisme de deux lettres du mot "un", car c’est ainsi que cet "un" qui est Di(2)eu Se révèle.
" 1. A. L. M... " Le traducteur du Coran précise :
Mais cette unité qui est Dieu ne peut rester voilée dès lors que l’on cherche à la voir au travers de ce qui est à la fois semblable et complémentaire. Par contre, quand on cherche à voir des choses particulières, elle ne se révèle pas.
Dans l’Inde, la syllabe sacrée AUM — symbole de Brahman et figurant en ouverture de la Bhagavad-Gîtâ — est
Cette définition de ces trois lettres " A U M " s’accorde parfaitement avec trois autres lettres " A L M " . On remarquera aussi que la lettre U (21ᵉ) et la lettre L (12ᵉ) se répondent en miroir parfait : 21 | 12 — reflet chiffré de ce rapport semblable et inversé, à travers lequel se révèle l’unité. Lorsque les lettres " U " et " L " sont réunies, ce qui frappe aussitôt, c’est ce trait vertical " I " — qui ne leur est pas commun et qui s’en détache — la révélation de " l’Un ". Tout un symbole !
" A.L.M. [et] Voici le livre " (Coran 2:1 !) — qui nous livre la Connaissance.
" A.L.M." [et] Vois ici, et maintenant, la Connaissance de notre Seigneur, celle sur laquelle il n’y a pas lieu de douter, contrairement à celle du monde, y compris du monde dit religieux.
Et Lui, Il sait comment désarmer le mental qui s’oppose à Sa Révélation — comment le rendre silencieux et, par là même, réceptif.
Donc toujours revenir " Au commencement " (Genèse 1:1) , là où l’on ne sait encore rien ou si peu — car c’est à partir de là que " Dieu " Se révèle.
Ce Verbe primordial permet de rapprocher les deux lettres " Au " du commencement de la syllabe sacrée " Aum " qui, dans le Véda, est vue comme " la première manifestation de la Réalité suprême, à la racine de toutes les créations à venir ". D’autant plus que cette syllabe, qui se prononce " om ", se fait entendre dans le mot " c-omme-ncement ", à partir duquel " Dieu " commence à Se révéler et à Se faire entendre en " l’H-omme ". Car il ne fait aucun doute que toute Parole véritable — celle qui éclaire et libère — est la Révélation de Dieu en l’Homme.
De l’Orient védique à la Parole biblique et coranique, se déploie le même mouvement : celui par lequel l’homme, en se tournant vers le Commencement, reconnaît la divinité de son être. Et, à partir du moment où " le Bienheureux Seigneur " Se révèle, on entre dans la confidence — dans la pure Connaissance de son être, ainsi qu’en témoignent les versets suivants du Coran.
Bienheureux… Ainsi parle le grand Prophète Mahomet, Celui qui ne parle que pour que le Bien suprême de tout homme puisse se révéler.
Et c'est avec ces mots que l’Être suprême parla au Bienheureux, qui ne voyait que Lui en tout et partout, et qu’Il entra dans sa propre perception :
La date de 3102 avant notre ère est profondément ancrée dans la tradition astronomique et cosmologique de l’Inde ancienne. C’est Aryabhata, mathématicien et astronome du VIᵉ siècle, qui en fixa le calcul, en s’appuyant sur des conjonctions planétaires et sur les récits puraniques. Depuis, cette date est reconnue comme le point de départ du Kali Yuga, l’ère sombre dans la cosmogonie hindoue — le seuil exact où s’achève la présence de Krishna et commence le cycle actuel.
" Dans ce monde, il n'y a rien, et pourtant tout individu poursuit plus ou moins ce rien. " (Mâ Ananda Moyî p208)
Et, il n'y a rien à comprendre car
" Dans la Réalité, il ne se passe jamais rien ! C'est une grande chance de pouvoir le comprendre ; si vous vous en rendez compte, béni êtes-vous car la vision intérieure vous a été accordée. " (Mâ Ananda Moyî p208)
Dans le Réel, le changement cesse, le temps n’a plus lieu d’être, tout est plénitude et immobilité vivante.